Année/Network : 2022/SBS
Par : Kim Yoon Jin, Lee Na Eun
Durée : 16 épisodes
La sérieuse première de la classe Koo Young Soo (Kim Dam Mi) et l’oisif distrait Choi Woong (Choi Woo Shik) sont comme chien et chat au lycée. A l’occasion de la réalisation d’un petit documentaire ayant pour objet d’observer le meilleur et le pire élève de l’établissement, ils sont obligés de se côtoyer pendant deux mois. Le documentaire devient viral, et même s’ils passent leur temps à se battre, les deux jeunes gens ne peuvent dénier leur attraction mutuelle, et finissent par sortir ensemble pendant 5 ans. 5 ans après une rupture douloureuse, leurs carrières sont sur le point de décoller : Woong vient de vendre une de ses illustrations à l’idole NJ (Roh Jung Ui) et la petite boîte de marketing de Young Soo a décroché un gros contrat. Leur vieux doc sur Youtube fait de nouveau parler de lui, et son réalisateur demande à son protégé, Kim Ji Woong (Kim Sung Chul), le meilleur ami de Choi Woong qui aime Young Soo en secret, de tourner un nouveau documentaire sur ses amis, dans le style “dix ans plus tard, que sont-ils devenus ?”. Woong et Young Soo finissent par se laisser convaincre, mais leur rupture leur a laissé un goût d’inachevé, et bientôt les vieux sentiments remontent à la surface.
Ecrire sur Our Beloved Summer n’a pas été facile, c’est un drama qui résonne tellement en moi que j’ai du me faire violence pour ne pas partir en digressions sur ma propre scolarité, mon rapport avec mes parents, mes amis, mes amours, mon rapport à la création artistique, mon boulot, mes insomnies et j’en passe. C’est sa force, il réussit à parler comme peu d’autres des problèmes du quotidien. Pas de riche héritier incompris, pas de make-over, pas d’amants au destin écrit dans les étoiles : juste des gens. C’est d’ailleurs le sujet du réalisateur fictif du petit documentaire mettant en scène Young Soo et Woong : il voulait tourner quelque chose qui parle à tout le monde, sans artifices. Et ça marche.
Ce “docu dans le drama” est intéressant à analyser. La toute première scène d’Our Beloved Summer nous présente Choi Woong et Young Soo via deux angles de vue : celui de la caméra de Park Dong Il (Jo Bok Rae), le réalisateur fictif du petit documentaire, et celui de Kim Yoon Jin, le vrai réalisateur du drama. D’emblée nous savons que les deux seront imbriqués l’un dans l’autre, et on nous invite à découvrir les personnages à partir de ce qu’ils donnent à voir quand ils sont filmés et ce qu’il se passe “hors-champ”. Choi Woong, nerveux, ne sait pas comment parler et se tenir devant la caméra, et se fait rabrouer par Young Soo, qui essaie de suivre le cours. La scène suivante est suggérée par Young Soo dans le documentaire en narration, mais c’est le drama qui nous la dévoile. Nous avons une position privilégiée : contrairement aux spectateurs fictifs du doc qui ne voient que les épisodes, nous pouvons sortir du champ limité de la caméra, et découvrir ce qu’il se passe avant et après les interviews, voire même retourner dans le passé lointain via les fameux flashbacks. Quand on y pense, ce dernier procédé est pratiquement un super-pouvoir, qui permet de savoir la vérité sans le biais des souvenirs personnels, potentiellement déformés, des personnages.
Avec cette perspective privilégiée on comprends que le documentaire commence à impacter le quotidien de nos protagonistes, et qu’il va presque par hasard (par l’arbitraire du choix des deux élèves) précipiter la magie d’une belle relation. En effet, Young Soo et Woong se mettent ensemble grâce au documentaire, et dix ans plus tard un nouveau leur donne l’occasion de se revoir et de débriefer (à leur corps défendants) ce qu’il s’est passé il y a cinq ans, et qui n’est pas résolu.
Mais revenons sur la notion de “hors-champ” (par définition, tout ce qui ne se trouve pas dans le cadrage délimitant l’image) : au-delà du hors-champ littéral auquel les spectateurs du doc n’ont pas accès, on le retrouve symboliquement dans la manière dont sont racontées les histoires des uns et des autres. Ne voyons-nous pas au quotidien, que ce qui est limité par notre vision et temporalité (notre propre “cadrage”) et ce que les autres nous donnent à voir et nous disent, quitte à passer à côté de la vérité ? Les parents de Choi Woong le poussent à tourner le documentaire parce qu’ils ont envie de “voir ce qu’il se passe à l’école” : il ne leur en parle jamais, ça échappe à leur champ de vision. Plus tard nous comprendrons qu’au-delà de l’école, Woong a toute une partie de lui-même qu’il ne montre pas aux autres, à commencer par ses parents.
Autre exemple, on nous montre assez vite la scène de rupture sérieuse entre Young Soo et Choi Woong, mais nous ne la comprenons vraiment que plus tard, après avoir vu ce qu’il s’est passé pour la jeune femme avant et après sa décision. Le drama utilise également cette idée de la scène supplémentaire révélatrice par le biais des vignettes post-crédits de chaque épisode. Est-ce que ce ne serait pas une invitation à faire un pas de côté, élargir notre cadre, pour mieux comprendre les autres ? Spoilers/Enfin le moment le plus important du premier documentaire, où Young Soo et Choi Woong s’embrassent, n’a jamais été filmé ! L’histoire se répète dix ans plus tard. Cette fois encore la caméra n’a plus de batteries, le caméraman s’en va, et le moment secret de bascule de la relation des protagonistes peut survenir. Le réalisateur du drama fait un pas en arrière pour nous montrer les plus intimes et les plus secrets des protagonistes./Spoilers Mais ces moments peuvent exister parce qu’il n’y a pas de caméra. Que faire quand on est constamment “dans le cadre” ?
La starlette NJ (un clin d’œil à IU ?) est un personnage qui essaie de répondre à cette question. En tant qu’idole reconnue, elle est poussée à présenter un profil public parfait 24h/24, comme chacun de ses faits et gestes est indéfiniment capturé, diffusé, scruté, analysé et interprété par des milliers de personnes. Le moindre déjeuner d’affaire fait toute une histoire, et elle doit faire des déclarations de suivi à la presse, ce qui résonne particulièrement avec l’actualité des vraies idoles. Pas plus tard qu’en février 2022, la leader du groupe Fromis9 a du être interviewée pour s’expliquer sur sa lassitude et son envie de rentrer chez elle, capturée sans qu’elle en ait conscience sur un plateau de live. C’est infiniment révélateur de notre société actuelle où les relations parasociales avec les stars sont exploitées à l’envie et le quotidien est un produit de consommation comme un autre, au point où une idole doit veiller à ce qu’elle montre dans un live (ironiquement supposé enregistrer un moment d’authenticité !). Ca me fait penser à ces parents qui mettent en scène constamment leur famille et leur couple sur Instagram et Youtube. Quand il n’y a plus de hors-champs possibles dans la vie quotidienne de ces enfant, quand tout moment d’intimité devient un produit exploitable, que reste-t-il de l’intimité et des sentiments ?
Parfois, il n’est même pas nécessaire d’être une idole pour voir sa vie intime s’effriter. Ji Woong, le second lead masculin, est tellement habitué à étouffer ses émotions que sa façade est devenue une seconde nature. Tristement quand on voit son chez-lui tout vide, on réalise l’ampleur des dégâts : cela a affecté sa vie intérieure, si dévastée qu’elle n’a même plus de “hors-champ” (d’ailleurs chez lui, il ne fait que dormir). Son identité est son travail, et ce n’est pas un hasard s’il passe tout son temps enfermé dans une sombre salle de montage, à regarder la vie des autres. Les deux personnages sont intéressants à mettre en parallèle, avec d’un côté NJ qui est constamment devant la caméra mais constamment en représentation, et de l’autre Ji Woong qui est constamment derrière la caméra, mais également constamment en représentation. L’enjeu pour les deux est de laisser transpercer leurs sentiments profonds, Spoilers/ce que parvient à faire NJ lorsqu’elle perds patience devant des antis avec qui elle essaie de faire la paix, et Ji Woong lorsqu’il accepte de tourner un documentaire sur sa mère./Spoilers Pour les deux, leur amour pour les héros est précieux, car il leur permet de sortir de leurs faux-selfs. NJ partage son goût pour l’architecture et sort de sa vision consumériste des relations, et le masque de Ji Woong se craquelle lorsqu’il s’avère incapable de mettre en valeur les sentiments renaissants de ses amis dans son documentaire. Au bout du compte, les deux en sortent de meilleurs artistes.
“Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché.”
Choi Woong et Young Soo restent longtemps des mystères. Si NJ est comme le papillon qui se fait déchirer les ailes de la fable de Florian, Woong est le grillon. L’une des premières choses qu’il nous révèle de lui est qu’il “aime s’allonger dans l’ombre“, et qu’il ne veut pas tourner le doc pour ne pas devenir un visage connu. Dix ans plus tard il vit la nuit et dors le jour, en décalage avec le reste du monde. Il ne dessine que des bâtiments et de la végétation, pas d’humains. Ce n’est qu’à la toute fin du drama que nous en comprenons les raisons profondes, cachées même aux personnes qui lui sont les plus proches et les plus chères. Spoilers/Nous apprenons à la fin que Woong a été abandonné par son père biologique et adopté par ses parents après la perte de leur fils unique. Cela explique pourquoi il était si pressé de partager ses parents avec le petit Ji Woong. Cette idée d’interchangeabilité des enfants peut avoir des conséquences dévastatrices, et pouvoir partager ses parents avec un autre “Woong” lui permet de se soulager un peu du sentiment d’avoir volé les parents et le destin d’un autre petit garçon. Le drame c’est que Woong, malgré tout l’amour inconditionnel de ses parents adoptifs, ne s’est jamais autorisé à “sortir dans la lumière”, et sans le savoir Young Soo a aggravé son angoisse de l’abandon en le quittant sans explications./Spoilers
Young Soo de son côté a tellement bien caché à tous ce qu’elle vit au quotidien que même son copain ne l’a pas comprise. La jeune femme a un autre problème qui la pousse à dissimuler sa vie intime : la honte de sa situation précaire. Même si tout le monde porte un uniforme au lycée, les autres vont quand même remarquer ses chaussures démodées, penser qu’elle est vieux jeu, et prendre son incapacité à participer au petit trafic des goûters et des faveurs comme de la froideur. Et Young Soo préfère passer pour une fille hautaine qu’une fille pauvre. J’ai vu très tôt ce que signifie pour un enfant d’une famille précaire d’aller dans un établissement avec des enfants de familles plus aisés, et autant vous dire que ça tient de la survie. Young Soo a développé un véritable bouclier autour d’elle à cet effet, et plus tard, comme tant d’enfants traumatisés qui ont grandi, elle n’arrive pas à l’enlever alors même qu’il n’est plus nécessaire. Être en couple avec Woong alors qu’il a enfoui une partie de son identité et choisi régulièrement la fuite pour se protéger de l’abandon n’est pas évident. La relation des deux jeunes gens était vouée à l’échec tant qu’ils gardaient levés leurs boucliers, et peut s’épanouir lorsqu’il acceptent petit à petit de se montrer vulnérables et de les baisser.
Pour revenir sur la nation de hors-champ qui me tient à cœur, je pense aussi qu’elle a quelque chose à voir avec leur relation : la première information supplémentaire précieuse qui nous est offerte par le drama au-delà des caractères et statuts des héros est leur passion commune pour les livres. C’est un détail de la personnalité du jeune homme qui surprend Young Soo et ne colle pas avec le reste, ça “sort du cadre”, justement. On dit toujours qu’on tombe amoureux de quelqu’un grâce à ses défauts, et je me demande si on ne tomberait pas amoureux aussi de ce qui “sort du cadre”, de ce qui ne colle pas chez l’autre avec l’image qu’on se donne de lui. Et d’ailleurs, nous tombons amoureux des protagonistes en découvrant qui ils sont au-delà des premières impressions.
A une époque où nous sommes très encouragés à faire des relations humaines un nouveau type de consommation superficielle avec le développement effréné et effrayant des relations parasociales, l’exploitation de la vie intime qui brouille les frontières entière le vrai et le faux, le problème de l’interchangeabilité et le “dating burn-out” (les gens deviennent un produit comme un autre qu’on peut liker/disliker d’un geste et les rencontres amoureuses se transforment en entretiens d’embauche), ce drama offre une pause bienvenue, en nous rappelant l’importance du “hors-champs” : c’est là que se trouvent les moments précieux, l’essentiel d’une relation. Spoilers/A la fin du drama on nous apprends qu’un nouveau petit documentaire sera tourné sur la vie conjugale de Woong et Soo Young, et cette fois nous ne verrons ni le doc, ni le drama./Spoilers Nous terminons le dernier épisode sur la première scène de leur troisième doc. Woong et Young Soo agitent les mains pour saluer leurs spectateurs fictifs, mais en vérité il s’agit d’un geste d’aurevoir pour nous, les vrais spectateurs du drama. Et nous sortons définitivement du champ.